Et déjà, le jour baisse. Le monde autour se teinte en bleu. La masse sombre des montagnes et les creux noirs des arbres semblent hostiles, tout à coup.
Les cris excités et enthousiastes de l’aller sont comme un lointain souvenir. Les voix se sont tues.

Piqueplic, piqueplic, font les sabots fuselés des ânes, à la cadence rapide de leurs pas menus.
Clop.     Clop.     Clop.     Font les sabots plus graves des chevaux, aux enjambées larges.

Elzéar se laisse bercer par cette musique à deux voix. Mais oh ! Pas trop !
Le nhourson s’ébroue de temps à autre. Il tient à arriver à Sylvacane en selle, sur son âne. À chaque retour d’entraînement, c’est la même compétition tacite entre les nhoursons. Qui tiendra jusqu’au village ?

Car, passée l’excitation des exercices de tournoi, le froid engourdit vite sous la fourrure trempée, et la fatigue vous assomme d’un coup, par surprise. Ce soir, trois gamins se sont laissés attraper et cheminent, endormis, dans les bras des chevaliers qui encadrent la marche.
Elzéar se cramponne à sa selle.

  Déjà, le jour baisse. Pappolène se hâte avec toute la sagesse de son âge. Son guerrier en culotte courte ne va plus tarder. D’un seul balancement de fourche, léger, elle emplit le bain jusqu’au bord : une mixtion de feuilles de noyer, de gui et d’herbes hautes de montagne, de quoi revigorer et détendre un nhourson étourdi de jeux chevaleresques et de prouesses batailleuses.

Elzéar jalouse secrètement ce geste dansant, qui ne loupe jamais et garnit la cuve d’une bonne mesure, bien tassée, une seule, et parfaite.

Une main sur la pierre, pour prendre la température, et Pappolène retire ou ajoute des braises, c’est selon. Puis, du même mouvement expert, elle retourne feuilles et foin. Il faudra répéter l’opération encore deux ou trois fois. Alors, les plantes délivreront leurs arômes, symptômes de leurs vertus réparatrices. La vieille nhourse a ajouté une ampoule de sa composition : poudres mélangées d’écorce de bouleau, feuilles de chêne, valériane, millepertuis, arnica et lavande fine ; une recette spéciale pour contusions, brûlures en tous genres et muscles endoloris.

Elzéar a mené son âne à l’écurie, vainqueur. Droit comme un i, il franchit la porte de la maison. Une bouffée chaude l’assaille : pain juste sorti du four, miel, roulés à la cannelle, et ce bain, fumant. Il relâche épaules, manteau, barda. Il redevient d’un coup un tout petit nhourson. Il se pelotonne contre sa Pappolène, heureux de sa journée, heureux d’être rentré. Elle râle un peu, pour la forme, contre cette boule de poils mouillée, un peu boueuse, aux mains gelées, qui sent le froid et la forêt. Mais elle serre fort, fort, son apprenti aventurier.

 Il y aurait encore beaucoup, beaucoup de choses à raconter. Car les nhours s’y connaissent en mélanges aromatiques aux vertus médicinales, et le bain de feuilles est presque une institution chez eux. Quelque soit le mal – plaies, bleus, raideurs, refroidissement, vertèbre coincée, bronchite, esprit grognon, anxiété, jalousie trop facile, découragement – ou juste pour se sentir bien : hop, toute raison est bonne pour plonger dans un bain.

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