Avec Elzéar, on a entamé l’année de manière formidable.

Au carillon de midi ce premier janvier, on se tenait debout, dans la grande salle, devant le flamboiement de la cheminée immense, le conseil des anciens et la moitié du village. Sire Winnoc nous passait un savon terrible. Et nous, on avait la tête en bourdon et les jambes en flageolance, pas de ses remontrances, mais de notre aventure du matin.

Il fallait quand même s’expliquer :
– C’est à cause du dicton, ai-je dit.
– “Premier janvier, miroir de l’année”, précisa Elzéar
– Alors on s’est dit que si aujourd’hui on réalisait un défi, un truc qui fait pétocher et rêver en même temps, peut-être qu’on réussirait plein d’autres trucs fous pendant toute l’année…
– …Et vous n’avez rien trouvé de plus intelligent que d’emprunter sans permission un traîneau-sans-freins-attelé-de-poulains-pas-débourrés-et-hystériques-pour-descendre-à-toute-berzingue-en-mettant-en-danger-des-plus-petits-les-cascades-gelées-du-mont-des-Gwyliaux-jusqu’au-gué-de-Sylvacane-ce-qui-doit-faire-dans-les-800-mètres-de-dénivelés-au-bas-mot-dont-la-moitié-en-pente-raide-sur-la-glace-au-milieu-des-rochers ??!!! rugit Sire Winnoc.

Raconté ainsi, avec sa voix grondante et féroce qui faisait vibrer le carrelage jusque sous nos pieds et remontait le long des voutes comme un tonnerre d’hiver, je trouvais ça sublime et j’étais drôlement fière. Mais lui n’avait pas l’air de saisir le génial de notre équipée.

– Ah, le traineau, on n’avait pas vu que les freins étaient cassés, répondit Elzéar.
– Et on va nettoyer les couvertures, ai-je enchéri.

Parce qu’un des petits, embarqué dans l’affaire, avait rendu ses tartines du petit déjeuner au passage des Pitsis, un endroit avec pas mal de virages, où j’ai cru qu’on allait mourir au moins trois fois de suite. Elzéar voulut ajouter qu’il y avait méprise et qu’on n’avait pas du tout cherché à faire un truc intelligent, mais Sogümadur leva la main. À point nommé : ça a évité au tonnerre d’exploser.

Alors ils délibérèrent. Et c’est Sogümadur encore qui nous annonça notre châtiment, avec une drôle de lueur dans le regard : interdits de cheval. À vie.
À moins de refaire la même descente tous les matins, jusqu’à l’éclosion des crocus de Février.

Le lendemain au petit déjeuner, Elzéar était un peu vert comme sa coule, et moi j’avais pas vraiment faim. Mais quand on s’est lancés sur la cascade avec nos poulains fous – cramponnés cette fois – et un traineau adapté à la glace, la vibrance de peur avait disparu.

Sur le chemin du retour Elzéar se demandait combien de chevaux on pourrait ajouter à notre attelage et moi j’espérais fort que les crocus ne seraient pas trop précoces cette année là.

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